CROISSANCE ECONOMIQUE ET DEMOGRAPHIE
L’augmentation de la population humaine, depuis l’apparition de l’Homo Sapiens, n’est pas naturelle. Quand quelque
chose augmente naturellement, elle augmente, dans des temps égaux, d’un certain pourcentage d’elle-même, un pourcentage qui est toujours le même. Mais comme de plus, lorsqu’une chose augmente,
elle augmente au détriment d’une autre ou de plusieurs autres, il arrive un moment où ces autres choses, en s’épuisant, limitent l’augmentation de la première.
Or, en ce qui concerne la population humaine, depuis l’apparition de l’Homo Sapiens, non seulement rien ne semble
limiter son augmentation, mais de plus, le pourcentage d’augmentation augmente au fil du temps. Cette augmentation de plus en plus rapide se constate d’ailleurs en particulier dans les deux
derniers siècles :
Nous étions un milliard en 1800, 2 milliards en 1927, 3 milliards en 1960, et 7 milliards en 2011. Les pourcentages
d’augmentation annuels sur ces trois périodes sont respectivement : 0,55%, 1,2% et 1,7%. Ils sont donc bien en augmentation.
Cette augmentation du taux d’accroissement de la population a été possible par les inventions techniques qui
permettaient aux hommes de mieux exploiter leur milieu naturel. Tant que les hommes n’ont pas inventé l’élevage et la culture, ils ne pouvaient être plus de cinq à sept millions sur Terre. Cette
Ere du Paléolithique a duré longtemps, des dizaines de milliers d’années. Pendant tout ce temps les hommes vivaient de cueillette et de chasse, en équilibre écologique avec leur milieu naturel,
dont les ressources limitaient leur nombre.
Le passage de : chasse et cueillette à : élevage et culture, fut une invention majeure qui eut plusieurs
effets : une modification profonde des modes de vie (sédentarisation, division du travail), une augmentation de la production des biens consommables, ce qui a permis aux hommes d’être dix
fois plus nombreux sur le même territoire, mais aussi une modification profonde de l’environnement (disparition progressive des terres vierges au profit des pâturages et des cultures,
développement de l’habitat urbain).
Cette révolution néolithique n’a pas été immédiate. Elle s’est propagée sur la surface du Globe pendant des
milliers d’années, et il existe encore peut-être quelques groupes humains qui n’élèvent pas et ne cultivent pas. Mais chaque fois qu’une population a accédé à ces pratiques, ses ressources
nouvelles lui ont permis d’augmenter le nombre de ses individus. Puis, lorsque ce nombre approchait celui qui correspondait à tout ce que le territoire occupé, transformé en pâturages et en
cultures, pouvait fournir de nourriture, l’augmentation de la population ralentissait pour se stabiliser autour d’un nouvel équilibre écologique. La population humaine aurait sans doute plafonné
autour de quatre-vingt ou cent millions d’êtres si d’autres technique révolutionnaires n’avaient pas été inventées, comme celles du bronze et du fer, et jusqu’à la dernière, que l’on appelle
« Révolution Industrielle ». Cette dernière a été générée par l’invention et l’utilisation de plus en plus généralisée des moteurs qui transforment la chaleur en énergie mécanique. Cela
a permis, par exemple pour ce qui concerne la traction, de passer de la puissance du cheval (trois quarts de kilowatt) à celle d’un camion ou d’une locomotive (des centaines et des milliers de
kilowatts). Grâce à la mise à la disposition de l’homme de ces puissances mécaniques, la grande industrie et l’agriculture extensive ont pu se développer. Aussi nous retrouvons à l’époque
contemporaine, dans les deux derniers siècles, tous les effets des grandes inventions, tout comme lors du passage du paléolithique au néolithique :
Exploitation de nouvelles richesses naturelles, particulièrement des combustibles, avec comme corolaire une modification profonde de l’environnement (concentrations industrielles, remplacement de
l’agriculture familiale par la culture extensive, impacts sur le milieu comme la modification de la composition atmosphérique et l’acidification des océans).
Augmentation des biens de consommation.
Modification profonde des modes de vie (déplacement massif, sur toute la planète, des populations rurales vers les mégapoles, développement des transports de personnes et des marchandises…).
Augmentation de la population, qui a été multipliée par sept en deux siècles.
Aussi bien actuellement qu’à l’époque préhistorique, une corrélation apparaît entre :
Les modifications des modes de vie, l’augmentation des biens consommables, la croissance démographique, et les
modifications de l’environnement.
Les liens de causalité sont vraisemblablement les suivants :
Une invention majeure (élevage et culture, ou usage des métaux, ou invention du moteur thermique) permet aux hommes
de « faire produire davantage la nature », ce qui leur permet d’être plus nombreux sur un même territoire, et cette nouvelle exploitation de la nature modifie bien sûr l’environnement
naturel.
Pendant tout le temps où cela se produit, pendant tout le temps où les hommes affinent l’utilisation de l’invention
majeure qui leur permet l’exploitation de la nature, ils accroissent la production des biens de consommation, ce qui leur permet de s’accroître.
Ce que nous appelons « croissance économique » est précisément cet accroissement des biens de
consommation.
Mais il s’agit là bien sûr de la croissance de la production des biens concrets, et non de celle qui est mesurée
financièrement. Car celui qui, devant son ordinateur, achète un bien mille euros et le revend mille deux cents, a généré deux cents euros de PIB, mais il n’a produit aucun bien concret.
Seulement, pour ce qui est de l’accroissement réel des biens de consommation concrets, il arrive un moment où
l’exploitation technique de l’invention majeure a pratiquement transformé tout le milieu naturel : lorsque sur un territoire donné, toute la végétation originelle a été replacée par des
champs cultivés, la production agricole stagne et la population du lieu ne peut plus croître, et lorsqu’une veine de charbon a été exploitée, la mine ne produit plus, les mineurs sont débauchés,
et pour subsister ils émigrent.
Depuis plusieurs décennies, on se préoccupe dans le monde, de l’épuisement des richesses naturelles : le
pétrole qui, au début de son exploitation, jaillissait presque spontanément du sol, est maintenant de plus en plus extrait du sous-sol marin, le charbon n’est lui pas près de s’épuiser, mais son
utilisation est moins pratique et son impact sur l’environnement plus lourd. On pourrait évoquer d’autres produits primaires qui sont menacés d’épuisement, comme l’eau par exemple. Et les
solutions envisagées pour palier leur raréfaction, comme le transport sur de longues distances ou le dessalement de l’eau de mer, butent sur une utilisation importante d’énergie, et on en revient
au problème de la raréfaction des combustibles.
Il semble bien que la croissance des biens consommables générée par l’utilisation des moteurs thermiques commence à
connaître son déclin. Or qu’advient-il de la population humaine du Globe ? Alors que sur les deux derniers siècles, le taux de croissance a augmenté, on constate, dans les dernières
décennies, qu’il diminue, et les démographes s’accordent pour admettre que la population mondiale stagnera vers 2050 autour de neuf milliards. On reconnaît aussi d’ailleurs que, dans l’état
actuel de nos technologies, les ressources de la Planète ne permettront pas à ces neuf milliards d’humains de vivre comme nous vivons en Occident
Il semble donc que nous nous trouvons, à l’échelle planétaire, devant le schéma de la fin d’une période de forte croissance, à la fois économique et démographique.
Au niveau local, le phénomène n’est pas aussi simple. Par exemple, les pays émergents connaissent une croissance
économique que le monde occidental a perdue. Pour le moment, ils produisent des biens qui sont consommés par l’Occident qui, lui, produit de moins en moins. Le système a fonctionné tout d’abord,
pendant la période coloniale, grâce à l’exploitation des matières premières et du travail dans les pays colonisés. Il se perpétue d’ailleurs ensuite dans ces mêmes pays après la décolonisation.
Mais la plus grande partie des biens consommés sont actuellement produits dans les pays émergents où le travail est vingt fois moins rémunéré qu’en Occident.
Cette mise à disposition facile des biens de consommation au plus grand nombre en Occident a conduit chacun à surconsommer, et une prise de conscience à la fin des années 1960 n’a pas ralenti la
surconsommation. Cette surconsommation, ne pouvant plus être financée par la production qui a émigré, conduit l’Occident à s’endetter jusqu’au surendettement. Si tous les individus et toutes les
familles ne s’endettent pas, les états s’endettent pour mettre à la disposition des peuples des infrastructures et des services qui profitent à tous. Ce surendettement des particuliers et des
collectivités conduirait à la faillite, et cette dernière ne pourra être évitée que par une réduction drastique de la consommation. Cette diminution de la consommation occidentale conduira à une
diminution de la production des biens consommables dans les pays émergents où ils sont produits. Et en définitive, le monde entier s’oriente bien vers une diminution de ce que l’on appelle
« la croissance ».
Pour retrouver cette « croissance », cette production croissante des biens que le Monde a connue grâce à l’utilisation de plus en plus généralisée des moteurs thermiques, il faudrait
qu’une nouvelle « grande invention » permette une exploitation nouvelle de la nature, une exploitation différente de celles que nous connaissons. Certes, les innovations foisonnent à
notre époque, mais aucune d’entre elles ne semble pouvoir nous offrir une révolution comparable à celle du moteur thermique, qui met à la disposition d’un seul homme au volant de sa voiture une
énergie cinq cents à mille fois plus grande que la sienne. Comme cette dernière invention révolutionnaire nous a ouvert l’accès à ces énergies considérables, c’est tout naturellement dans le
domaine de la puissance énergétique que nous recherchons « l’invention majeure » qui révolutionnera nos modes de vie, notre environnement, et qui nous permettra de vivre plus nombreux
sur Terre. Malheureusement, jusqu’ici :
Nos réserves d’hydrocarbures s’épuisent et leurs sources nouvelles (off-shore, schistes bitumineux) ne paraissent pas sûrs.
Les énergies renouvelables sont limitées, et pour le moment plutôt chères.
Des modes de production nouveaux comme la magnéto-hydro-dynamique ont été abandonnés parce que irréalisables malgré leur apparente possibilité théorique.
L’énergie nucléaire est de plus en plus contestée.
La fusion contrôlée de l’hydrogène reste un espoir incertain et lointain.
Mais ce n’est peut-être pas du domaine de l’énergie que surgira la prochaine révolution. Notre monde s’oriente vers un mode de vie nouveau, dans lequel les hommes, de moins en moins ruraux,
s’entassent dans des mégapoles où les déplacements deviennent de plus en plus difficiles et dans lesquelles ils vivent de plus en plus isolés de leurs proches, mais de plus en plus reliés au
lointain, voire au virtuel. L’avenir est-il dans ce mode de vie poussé à l’extrême, d’un humain physiquement dans la promiscuité, mais mentalement solitaire, et noyé dans un enchevêtrement de
réseaux plus ou moins virtuels ?
De toute manière, toute tentative pour imaginer ce que pourra être une nouvelle révolution technique est vouée à l’échec car si nous pouvions imaginer ce changement profond qui porterait l’Homme
dans une civilisation nouvelle d’un ordre supérieur, nous aurions déjà commencé à opérer ce changement.
Dans l’incertitude de la venue d’une nouvelle profonde révolution qui modifierait notre mode de vie, notre environnement, notre production de biens consommables et notre évolution démographique,
il semble bien que la dernière révolution, « l’industrielle », atteint ses limites, et que l’humanité s’oriente vers un palier : un palier démographique, de la production des biens
de consommation et d’un mode de vie. Ce dernier sera sans doute intermédiaire entre les modes de vie des hommes sur Terre qui sont actuellement très différents.
Aussi, dans l’incertitude d’une nouvelle révolution, plutôt que de courir après une croissance économique qui s’avère utopique, ne vaudrait-il pas mieux réfléchir aux moyens de nous
accommoder au mieux de ce que nous avons ?
Claude
ANTON
avril 2012