UNE ILE
Dans l'immense océan vierge de tout passage,
Sur une île perdue, vivent des « bons sauvages ».
Ils vivent de cueillette, à l'occasion de chasse,
Et puis lorsque leur faim épuise leur espace,
Ne trouvant plus assez de fruits pour se nourrir,
Ils vont un peu plus loin pour chasser et cueillir,
Et sur le territoire qu'ils ont abandonné
Tout naturellement la Nature renaît.
Mais l'île a ses limites ; aussi son peuplement
Augmente mais ne peut croître indéfiniment
Elle n'accueille pas plus qu'elle peut nourrir
Et ceux qui sont de trop ne peuvent que périr :
Accidents, maladies... Si ça ne suffit guère
Les hordes de nomades se disputent la terre :
Si nos chasseurs-cueilleurs deviennent trop nombreux
Leurs guerres font un sort aux plus faibles d'entre eux.
D'une manière ou d'autre la loi économique
Equilibre sur l'île un ordre écologique.
Sur l'île un jour les hommes inventent la culture,
Et produisent ainsi bien plus de nourriture.
Maintenant sur notre île, les gens sont sédentaires,
Ils sèment et ils attendent le produit de leur terre.
Ils ont domestiqué la nature sauvage,
Mais ont profondément changé le paysage,
Car les champs monotones et l'uniformité
Remplacent maintenant la biodiversité.
Sur l’île la croissance des biens de production
Permet l'augmentation de la population
Plus il a de monde, plus il faut cultiver,
Et bien sûr le moment finit par arriver
Où la culture occupe toute la terre arable.
Alors on se dispute les terrains cultivables.
Le nombre des humains ne peut plus augmenter ;
L’île entre de nouveau dans la stabilité.
Notre Terre est une île pour notre Humanité.
Il y a deux cents ans les hommes ont inventé
Les machines thermiques grâce auxquelles un seul homme
Disposait de la force de cent bêtes de somme.
Moteurs de plus en plus puissants, dont les nouveaux
Peuvent avoir la force de millions de chevaux.
Ces énergies permirent de telles productions
Qu'en seulement deux siècles notre population,
Multipliée par sept, vit confortablement,
Mais aussi bouleverse notre environnement :
Les champs que labouraient les bœufs et les chevaux,
Cultivés maintenant par des engins nouveaux
Des centaines de fois plus puissants, qui sillonnent
D'immenses étendues tristes et monotones.
Quant aux manufactures, elle furent rasées
Pour d'immenses usines qui sont mécanisées,
Et sur toute la Terre nos bourgs et nos villages
Qui s'intégraient si bien dans tous nos paysages,
Désertés, sont en ruine ; les agglomérations
Deviennent mégapoles dans les trois dimensions.
Nous avons transformé les océans, la terre,
Et même modifié l'état de l'atmosphère !
Sur Terre la débauche de l'énergie facile,
Tout comme la culture, l'élevage sur l’île,
Causa l'augmentation de la population,
Une vie différente, et la transformation
De l'environnement. Mais tout comme sur l’île,
Quand on a occupé tout ce qui est fertile,
Les habitants se battent pour pouvoir cultiver,
La fin de l'énergie finit par arriver,
La croissance s'essouffle et les populations
Qui sont habituées à la consommation
S'estiment malheureuses, victimes d'injustice.
Quant aux populations pauvres mais productrices,
Elles voudront bien sûr elles aussi pouvoir
S'offrir ce qu'elles font mais ne peuvent avoir.
Mais hélas dans l'état de nos technologies,
La Terre ne peut pas accorder, par magie,
A sept milliards d'humains le haut niveau de vie
Des peuples d'Occident, que les autres envient.
Si les uns et les autres ne sont pas assez sages
Pour vivre sobrement, l'Humanité s'engage,
Chacun exigeant plus que peut donner la Terre,
Dans la compétition, la violence et la guerre.
Claude ANTON mai 2014