LA FORET
Elle s'est égarée dans la sombre forêt.
Et erre au hasard sans cesser d'espérer
Se repérer enfin, ou croiser un humain
Qui pourrait la guider, lui montrer son chemin.
Au début, quelquefois, un rayon lumineux
Parvenait jusqu'au sol noir, humide et spongieux.
Maintenant la lumière doit être horizontale
Car l'ombre est devenue inquiétante et totale.
Un court moment plus tard la voici dans le noir,
Commençant à sombrer dans un lourd désespoir.
Pourtant en progressant dans cette nuit hostile,
Elle aperçoit au loin une lueur subtile.
Un espoir renaissant, le péril écarté,
Elle presse le pas vers la faible clarté.
Avançant à tâtons, elle atteint la lisière,
Et dans l'ombre moins dense aperçoit la chaumière.
Elle y parvient sans peine, elle s'est arrêtée
Devant la vieille porte en bois qu'elle a heurtée,
Mais rien. Pas de réponse. Pourtant cette lueur....
Doucement, poussant l'huis... Il s'entrouvre sans heurt.
Comme l'odeur est aigre ! Comme la pièce est sombre !
La silhouette noire qui est tapie dans l'ombre,
Aux mains crochues et pâles... Sa tête de vautour
Est cernée par des mouches qui tournent tout autour.
La sorcière lui dit alors en ricanant :
« Te voici avec moi pour toujours maintenant.
Et quand sur cette Terre finira ma mission,
Tu seras là et tu prendras ma succession. »
Avant de se coucher à terre elle peut avoir
En guise de dîner, un affreux brouet noir.
Elle veille longtemps et prend la décision
De s'évader dès qu'elle en aura l'occasion.
Calmée, elle parvient enfin à s'endormir.
Réveillée par un rêve, entendant des soupirs,
Se relève et s'approche de la vieille guidée
Par des sanglots, saisit sa main ridée.
« Mais pourquoi pleures-tu ? Tu as mal quelque part ?
− Je pleure parce que je pense à ton départ.
J'ai cru que tu pourrais rester ici toujours,
Mais tu repartiras dès que viendra le jour.
Moi je demeurerai seule jusqu'à ma mort,
Loin de tout et de tous, c'est mon lugubre sort.
Dors. Quand viendra le jour, je t'accompagnerai
Pour t'aider à t'enfuir de ma triste forêt. »
Un court moment après, un rayon de soleil
Lui caresse la joue, et tout n'est plus pareil :
La vieille a préparé un bol de lait fumant,
Et quand elle l'eut bu, lui dit : « C'est le moment ;
Je vais t'accompagner jusqu'à l'orée de bois,
Là où passe un chemin. De cet endroit on voit,
Pas très loin, un village que tu pourras gagner,
Et où quelqu'un sans doute pourra te renseigner.
− Il faut que je repère le chemin pour pouvoir
Revenir quelquefois, sans m'égarer, te voir. »
L'autre montre sa joie dans un si clair sourire
Que la jeune ne peut s'empêcher de lui dire :
Hier tu étais sorcière, mais qui es-tu vraiment ?
Tu me parais être une fée en ce moment.
− Je suis comme je suis, mais suivant la manière
De me voir, je suis fée, ou bien je suis sorcière. »
Claude ANTON, 20 septembre2022