LES DEUX FRERES
(d'après les frères Grimm)
1 L'oiseau d'or
Peter avait beaucoup d'argent,
Et Clauss était presque indigent,
Mais avait deux garçons jumeaux,
Deux enfants extrêmement beaux.
Ils étaient tellement semblables
Que personne n'était capable
De savoir s'il avait affaire
À Hans ou bien à Karl, son frère.
Clauss est allé dans la forêt,
Où là il a pu s'emparer
D'une plume de l'oiseau d'or
Que Peter paya un prix fort.
Le lendemain il lui vendit
Un œuf en or. Peter lui dit :
« Arrange-toi afin de prendre
L'oiseau entier pour me le vendre. »
Car on disait que qui pouvait
Manger son foie, son cœur, trouvait
Sous l'oreiller chaque matin
Une grosse pièce d'or fin.
L'oiseau par Clauss fut capturé,
Et son foie, son cœur préparés.
Mais qui les mangèrent ? Les jumeaux,
Qui eurent les pièces en cadeau.
Le riche Peter en colère
Dit au malheureux Clauss, le père :
« Conduis dans la sombre forêt
Tes enfants pour les égarer. »
Clauss le fit, s'estima coupable,
Et devint triste, inconsolable,
Car que vont faire ses jumeaux
Face à ces dangers, à ces maux ?
2 Le chasseur
Les deux jumeaux ont rencontré
Kurt, le chasseur, dans la forêt.
Il vivait seul et fut heureux
De désormais s'occuper d'eux.
Il leur apprit comment chasser,
Vivre en forêt. Le temps passait,
Les deux jumeaux avaient grandi,
Aussi un jour Kurt leur a dit :
« Je n'ai plus rien à vous apprendre,
Et vous ne devez plus dépendre
Du vieux que je suis devenu.
Le temps de partir est venu.
Voici vos pièces, gardez-les bien.
Voici Schwarz et Weiss, deux bons chiens,
Voici deux fusils magnifiques,
Et voici deux couteaux magiques :
Si un jour vous vous séparez,
Dans un arbre les planterez
Pour indiquer la direction,
Chacun, de sa destination.
Pour retrouver votre frère,
Son couteau sera le repère,
Mais s'il est rouillé et rongé,
Votre frère est en grand danger.
Ils sont partis à l'aventure,
Respectueux de la nature,
De tous les animaux sauvages
Qui les croisaient sur leur passage.
Ils marchent longtemps sans manger.
Malgré la faim ils ont rangé
Leurs fusils et ils ont admiré
Les familles de la forêt.
Familles de lièvres rapides,
Renards habiles, loups intrépides
Et celle des ours débonnaires
Et du lion, roi de ta terre.
De chaque famille, deux petits
Avec les frères sont partis,
Et ils peuvent gagner enfin
Un hameau pour calmer leur faim.
Puis les deux frères se séparèrent
Dans le tronc d'un arbre ils plantèrent,
Hans son couteau vers le couchant,
Et Karl le sien vers le levant.
Mais chacun est accompagné
Par les animaux épargnés :
Renard et loup, lièvre rapide
L'ours et le lion intrépide.
3 Le dragon
Hans un jour gagne une cité
Où chaque maison a été
Voilée de noir, et on lui dit
Que le roi ici est maudit :
Demain sa fille est livrée,
Pour être tuée, dévorée,
À une épouvantable bête :
L'horrible dragon à sept têtes.
Avec ses animaux, Hans gagne
Dès le lendemain la montagne
Où la princesse attend son sort :
Le dragon pour la mettre à mort.
Mais bientôt une voix l'appelle.
Il entre dans une chapelle
Où il absorbe une pitance
Qui donne une énorme puissance.
Il peut alors tirer de terre
L'épée qui était prisonnière,
Et appelant ses animaux
Il leur adresse alors ces mots :
« Quand sera là l'horrible bête,
Provoquez chacun une tête.
Je la trancherai aussitôt. »
Et c'est ce qu'ils firent bientôt.
La princesse offre à son sauveur
De lui ouvrir tout grand son cœur,
Et Hans ne peut pas refuser
De l'aimer et de l'épouser.
Dans un linge qu'elle lui prête,
Il met les langues de la bête,
Comme il est épuisé, s'endort,
Ses animaux suivent son sort.
L'officier qui avait promis
La belle à l'affreux ennemi
Décapite Hans endormi
Sans le secours de ses amis.
L'odieux criminel imposteur
Prétend qu'il est lui le sauveur.
La fille du roi est contrainte
D'approuver ce qu'il dit par crainte.
Le roi trompé, dans sa faiblesse
Promet la main de la princesse
Au fourbe officier menteur,
Un assassin, un imposteur
4 Le triomphe de la vérité
En s'éveillant, les animaux
S'accusent de tous les maux
Constatant que Hans a été
Assassiné, décapité.
Mais enfin le lion indique
Où trouver une herbe magique.
Le lièvre ne peut s'empêcher
De vite courir la chercher.
Souvent les bonnes solutions
Sont mal mises en application :
Le lion colle la tête au corps,
Mais elle est à l'envers d'abord.
Mais quelquefois le praticien
Supplante le théoricien,
Et le lièvre, un bon bricoleur
Parvient à réparer l'erreur.
Hans, suivi par ses animaux
Se rend en ville de nouveau.
Il la trouve voilée, non de noir,
Mais d'écarlate, couleur d'espoir.
Dans une auberge où il se rend,
L'aubergiste heureux lui apprend
Que demain, jour de grand bonheur,
La princesse est fiancée au sauveur.
L'homme lui décrit, enthousiaste,
Les cérémonies et leur faste,
Les fins plats et les boissons
Qui sont prévues à l'occasion.
« Demain, dit Hans, devant toi, là,
Je consommerai tout cela !
‒ Si tu le fais, moi je veux bien
Te servir cent repas pour rien. »
Hans envoya les animaux
Dire à la princesse en deux mots
Qu'il vivait et était disposé
Plus que jamais à l'épouser.
Les animaux lui rapportèrent
Un vrai festin, et l'assurèrent
De l'immense joie, l'allégresse
Qu'avait éprouvée la princesse.
Hans dit alors à l'aubergiste :
« Tu as perdu, mais sois en quitte,
Car demain, moi, j'aurai l'honneur
D'être à la table du seigneur. »
Car le roi s'était étonné :
« À qui ces mets sont destinés ?
‒ À un noble qui loge à l'auberge.
‒ Un noble ? Il faut que je l'héberge ! »
Le lendemain, jour de malheur
Des fiançailles avec l'imposteur,
Un carrosse a été attelé
Pour emmener Hans au palais.
Le roi demande à l'invité :
« Que fais-tu donc dans ma cité ?
‒ Je suis venu tuer la bête,
L'horrible dragon à sept têtes. »
Dans le linge de la princesse
Qu'il déploie alors apparaissent
Les sept langues qui sont la preuve
Que la mort du dragon est son œuvre.
Le menteur assassin alors
Est condamné et mis à mort,
Et Hans épouse la princesse
Dans l'allégresse, la ville en liesse.
5 La sorcière
Le roi décide d'abdiquer,
Et Hans, qui a éradiqué
Le terrible fléau terrifiant
Est sacré un roi triomphant.
Le couple régnant et vainqueur,
Connaît un paisible bonheur,
Mais le roi Hans, chasseur, toujours,
S'absente souvent tout le jour.
Le roi Hans, le matin, souvent,
Part tôt à la chasse devant
Ses animaux amis toujours.
Mais il n'est pas revenu un jour.
Suivant une biche si belle
Qu'il n'ose pas la tuer, elle,
Il est allé dans la forêt
Inconnue et s'est égaré.
Sous un arbre au cœur de la nuit,
Groupés autour d'un feu qui luit,
Le roi Hans et ses animaux
Entendent une voix en haut :
Dans l'arbre une vieille leur dit :
« J'ai froid ‒ Viens te chauffer pardi !
‒ C'est que j'ai trop peur de tes bêtes.
Touche-les de cette baguette. »
Hans le fait sans se méfier,
Ses animaux sont pétrifiés.
Puis la malfaisante sorcière
Le change lui aussi en pierre.
6 Karl
Pendant ce temps, l'autre jumeau,
Karl, suivi par ses animaux,
Erre de ville en village,
Sans fortune mais sans dommage.
Mais un matin, quand il se lève,
Il est inquiet car dans un rêve
Il a vu rire une sorcière
Devant Hans en statue de pierre.
Inquiet, il décide aussitôt
De se rendre auprès des couteaux,
Et il s'aperçoit effrayé
Que celui de Hans est rouillé.
Sans halte il fuit vers le couchant
Par les routes et à travers champs.
Il entre en ville avec ses bêtes,
Où il est accueilli en fête.
Il comprend très bien que celui
Qu'ils acclament n'est pas lui,
Mais son frère et aussi apprend
Que c'est pour un roi qu'on le prend.
Il les a laissés dans l'erreur
Pour ne pas ternir leur bonheur,
Mais une épée à deux tranchants
L'éloigna de la reine au couchant.
7 Retrouvailles
Le lendemain tôt le matin
Le faux roi Karl prend le chemin
Que Hans avait suivi plus tôt,
Et poursuit la biche bientôt.
Et dans la forêt inconnue
Se perd aussi la nuit venue....
Un feu, avec ses animaux...
Et une voix qui vient d'en haut...
Mais Karl reconnaît quand il lève
Les yeux, la sorcière du rêve.
Quand elle lui tend la baguette,
Au feu aussitôt il la jette.
Cela fait un jet de lumière
Qui met le feu à la sorcière,
Et Hans avec ses animaux
Apparaît bien vivant et beau.
8 jalousie
Ils se retrouvent avec amour.
Prennent le chemin du retour,
Hans raconte comment, pourquoi
Il est de la ville le roi.
Karl dit : « Ils ont tous cru que toi,
Tu étais revenu, et moi,
Je les ai laissés dans l'erreur
Pour ne pas gâcher leur bonheur. »
Karl dit encore : « La reine aussi
M'a pris pour toi, et donc ainsi,
J'ai passé la nuit dans son lit. »
À ces mots le roi Hans pâlit !
Dans la rage que rien n'arrête,
De son frère il tranche la tête,
Et puis il éclate en sanglots,
Regrettant son geste aussitôt.
Mais les deux lièvres vont quérir
L'herbe magique pour guérir,
Et le lion fait attention :
La tête est dans sa direction.
9 Heureuse fin
Arrivant simultanément,
Les frères créent l'ahurissement.
Chacun a ses cinq animaux.
Tout est en double, tout est jumeau !
Le vieux roi questionne sa fille :
« Quel est ton époux je te prie ? »
Muette, elle hésitait beaucoup,
Mais elle trouva tout à coup :
Elle se rappela le don,
Fait après la mort du dragon,
Des perles d'un de ses colliers
Aux animaux du chevalier.
L'un des lions porte un sautoir
Dont elle connaît le fermoir,
Et ainsi la reine désigne
Son mari Hans grâce à ce signe.
C'est la fête jusqu'au matin !
Et c'est un somptueux festin !
Et au coucher la reine dit :
« Tu n'as pas mis l'épée aujourd'hui ? »
Claude ANTON, 24 février 2023